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15 juin 2009 1 15 /06 /juin /2009 01:20




Jean Bricmont est un physicien Belge, actuellement
professeur de physique théorique à l'université catholique de Louvain. J’aime beaucoup Jean Bricmont quand il parle de science et d’épistémologie. Avec son collègue américain Alan Sokal, il a écrit un petit livre d’épistémologie sans prétentions, Impostures intellectuelles, absolument remarquable. La position des auteurs en faveur d’un « réalisme modéré » – qu’ils opposent au subjectivisme et au relativisme épistémologique ‒ ne peut-être, selon eux, au minimum, que celle des scientifiques et des philosophes des sciences, comme elle est celle de nous tous dans la vie quotidienne.

 




Le relativisme épistémologique prétend qu'il n'existe pas de propositions vraies puisqu'elles sont toutes relatives à un certain point de vue et qu'aucun point de vue ne jouit d'un statut privilégié.

 

Le subjectivisme philosophique estime qu’il n’y a pas de réalité objective car le sujet ne pouvant s’extraire de son esprit, la réalité ne peut être qu’une construction de son esprit.

 

Au relativisme épistémologique et au subjectivisme philosophique le réalisme modéré de Bricmont et Sokal répond par une formule frappante et incontestable (d'Alan Sokal) : « Quiconque croit que les lois de la physique ne sont que des conventions sociales est invité à essayer de transgresser ces conventions en se jetant de la fenêtre de mon appartement. (J’habite au 21e étage.) »

 

En simplifiant, on va dire que cette position épistémologique, fort raisonnable, est celle des rationalistes.

 

Cependant quand Jean Bricmont écrit : « La science moderne a permis d’élever les normes de ce qui peut être considéré un savoir véritable et, par là même, nous a permis de comprendre que le discours religieux est une pure illusion » on ne peut que devenir dubitatif. (Cf. article de Bricmont publié en décembre 2007 dans le quotidien Le Soir en cliquant sur http://imposteurs.over-blog.com/article-31735667.html )




L’amour, celui que l’on ressent pour son amoureux ou pour son amoureuse, ne relève pas de la science. Est-il pour autant pure illusion ? Ce n’est pas pour des raisons scientifiques que je suis amoureux de mon/ma partenaire. Le sentiment amoureux serait pure illusion si l’on suivait Jean Bricmont. Non, simplement l’amour ne relève pas du même ordre que la science.








Dans son livre Le capitalisme est-il moral ? André Comte-Sponville explique de façon très simple et très claire les différents ordres et en quoi c’est un non-sens philosophique de les confondre et une erreur dans la vie pratique de ne pas être capable de les distinguer.

 







Revenons à la religion vue par Jean Bricmont. Dans le même article du Soir Jean Bricmont écrit :
En réalité, dans la mesure où les prescriptions religieuses nous paraissent morales, c’est uniquement parce qu’elles coïncident avec notre sentiment non religieux de bien et de mal et il en tire la conclusion que la religion n'apporte aucun éclaircissement sur le bien et le mal.

 

Cette proposition me paraît erronée. Si nous avions  un sentiment non enseigné, non transmis, du bien et du mal, il serait donc inné. Si ce sentiment était inné, on a du mal à concevoir qu’il n’ait pas été commun à tous les hommes. Donc les différentes religions auraient dû enseigner à peu près la même morale. Il n'en est rien. 

L’histoire et l’anthropologie le montrent à l’envie, il y a presque autant de morales que de religions.


Un exemple parmi beaucoup d’autres : dans la religion des Aztèques le sacrifice humain était non seulement admis moralement mais même recommandé. Dans toutes les religions modernes le sacrifice humain est religieusement interdit et moralement « spontanément » condamné.




On pourrait multiplier les exemples.


Le cannibalisme animiste a été proscrit aux îles Salomon par l’action des
missionnaires chrétiens et le cannibalisme est devenu aujourd’hui un sujet tabou chez les habitants de ces îles, car l’évoquer ranimerait des haines entre les descendants de celui qui a été mangé et les descendants de ceux qui l’ont mangé.



 

Jean Bricmont prétend que la religion n’apporte aucun éclaircissement sur le bien et le mal. Dans le sens scientifique du mot éclaircissement, personne ne le conteste, car personne n’a jamais pensé que les règles morales pouvaient être déduites de la connaissance scientifique. Mais si, dans ce sens restreint, la religion n’apporte pas d’éclaircissement sur le bien et le mal, elle a toujours apporté un enseignement. Cet enseignement n’est ni sans effet pratique ni sans valeur. De ce point de vue il n’est pas possible de renvoyer les religions au monde des superstitions et des illusions. Sur la question du bien et du mal, les religions sont porteuses d’enseignement et de sens, donc d’éclaircissement. On peut, et on doit, discuter ces éclaircissements, mais on ne peut nier qu’ils existent et renvoyer à une morale prétendument spontanée et portée en tout homme, depuis toujours et pour toujours.

 



Sur ce sujet, l’anthropologie nous en apprend bien plus que le rationalisme étroit de Jean Bricmont.
 






                                    René Girard

À suivre…

Bibliographie


Alan Sokal, Jean Bricmont, Impostures intellectuelles, Le Livre de Poche, biblio essais







André Comte-Sponville, Le capitalisme est-il moral ?
Éditions Albin Michel





Le discours de réception à l'Académie Française prononcé par Michel Serres en réponse à celui de René Girard est une ex
cellente introduction à l'œuvre de ce dernier. On peut le lire en cliquant sur :
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commentaires

R
Moi aussi j'arrive avec du retard. J'ai lu ce livre de Brickmon et sokal il y a quelques temps maintenant et il faut admettre qu'il y a notamment des passages de Jacques Lacan et Julia Kristva qui<br /> sont à pleurer de rire. Je crois que ces deux scientifiques ne sont pas bien doués pour parlé philosophie comme Lacan et Kristva (et les autres du bouquin) n'étaient pas bien doués pour réutiliser<br /> le langage mathématique. Mais ce que pointe ces extraits (coté Lacan et Kristva mais aussi coté Brickmon) c'est un travers de l'homme vis à vis du savoir en général, une certaine forme de<br /> perversion ou de malhonnêteté poussée par le désir de plaire ou d’impressionner, par une envie de gloire de postérité, par un profond narcissisme en fait. Car oui ce qui se conçoit bien s’énonce<br /> clairement et vu ce que Lacan écrit dans ces extraits il est clair qu'il visait au fond à se rendre à la fois incompréhensible et prestigieux loin de toute quête de vérité intérieur ... tout cela<br /> me fait penser à un passage que je viens de lire sur le blog de Simone MANON http://www.philolog.fr/rousseau-les-sciences-et-les-arts/ sur la position de Rousseau vis à vis des science....
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J
« il est heureux que la vie ne se réduise pas à la science et à la rationalité... »<br /> <br /> Arrivant sur ce fil avec un retard certain, je partage entièrement votre point de vue.<br /> J'ajouterai cette assertion de François Jacob, Prix Nobel de Médecine avec André Lwoff et Jacques Monod en 1965 – qui dit la même chose autrement :<br /> <br /> « Nous sommes faits de macromolécules et d'émotions. »<br /> <br /> Réducteur mais incontestable…
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S
Un "évitement" de l'inceste, entre la femelle et sa progéniture devenue adulte, est observé dans la nature, à commencer, en ce qui nous concerne de plus près, par les primates. Dans l'espèce humaine, cet évitement s'est étendu au père et à la fratrie, la condition étant remplie d'une famille nucléaire et d'une nomination des différents membres de la famille. Ce qui n'est possible que chez l'être humain, alors que dans les groupes de singes, c'est impossible, et les mâles couvrent toutes les femelles, sauf celle qui leur a donné naissance. Dans la nature, j'insiste bien . C'est pourquoi les éthologistes admettent l'évitement de l'inceste "mère-fils" comme fait de nature. Le "tabou", lui, est spécifiquement humain, et parfois exagéré jusqu'à l'absurde.Ce minimum d'exogamie a sûrement été un avantage sélectif. 
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S
Un complément à mon commentaire précédent: l'amour est la plus belle, la plus charmante, la plus délicieuse, des illusions.
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L
<br /> Je ne pense pas que l'amour soit une illusion, mais en tout cas il est heureux que la vie ne se réduise pas à la science et à la rationalité...<br /> <br /> <br />
S
Jean-Didier Vincent rappelle que pour aimer, il faut avoir les glandes "ad hoc". Il exagère un peu, bien sûr, car les sentiments, et même l'amoureux, doivent beaucoup à leur place dans les discours convenus.Les règles morales sont d'élémentaire bon sens pour une vie sociale. Les hommes les ont mis en mots puisqu'ils disposent du langage. Certaines règles ont une base naturelle comme le tabou du meurtre et celui de l'inceste. La glose humaine les a sensiblement compliquées.Toutes les religions dérivent de l'animisme primitif, propriété spécifique de l'homme, doté de la parole(cf mon article "Jean-Pierre Changeux: l'Art et le cerveau).Le point de vue matérialiste de Bricmont est cohérent. Comme tout raisonnement, il est dépendant des bases de départ. 
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L
<br /> Quand on lit René Girard on comprend que l'interdit de l'inceste a beau être général et de toutes les cultures, son origine n'a pour autant rien de naturel. Quand à l'interdit du<br /> meurtre, il n'est pas du tout général, beaucoup de sociétés ayant pratiqué - celles le pratiquant encore sont de plus en plus rares - le meurtre rituel, avec chacune leurs<br /> rites, l'inventivité humaine étant sans limites...<br /> <br /> <br />

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