Jan Karski est un héros de la résistance que les Polonais opposèrent à la barbarie nazi. Son témoignage sur le ghetto de Varsovie, dans le film Shoah de Claude Lanzmann, reste gravé de façon indélébile dans la mémoire de tous ceux qui l’ont vu.
En 1944 il a écrit « Mon témoignage devant le monde Souvenirs 1939-1943 » en vue de sensibiliser l’opinion américaine à la situation et à l'avenir de la Pologne.
En France, on connaît très mal l’histoire de la Pologne en général et de cette période en particulier. Le récit de Jan Karski, étayé de nombreuses notes historiques de l’éditeur fort bien faites, est édifiant sur la brutalité impensable exercée par les nazis en Pologne occupée.
On apprend aussi les grandes lâchetés, ou petites trahisons, comme on voudra, commises par les gouvernements britannique et français envers la Pologne, de la déclaration de guerre jusqu’à Dunkerque.
En août 1939, la France exerça toutes les pressions possibles pour que la Pologne retarde la mobilisation générale, car il ne fallait pas « provoquer Monsieur Hitler ».
Le 29 août l’ambassadeur français demandait encore de retarder la mobilisation générale, que le gouvernement polonais finit par déclarer le 30 août, perdant ainsi vingt-quatre précieuses heures, les Allemands attaquant le 1er septembre.
Le protocole militaire franco-polonais du 17 mai 1939 stipulait qu’en cas d’attaque allemande contre la Pologne, la France déclencherait une offensive générale contre l’Allemagne à partir du quinzième jour qui suivrait la mobilisation française.
Le 7 septembre la France se contenta de lancer une offensive très limitée contre la forêt de la Warndt, qui coûta 196 tués aux Allemands. Le 12 septembre le commandement franco-britannique décida de ne pas engager d’autre offensive, mais s’abstint d’en informer la Pologne. Le début de la drôle de guerre, en somme !
On apprend la félonie de l’Armée rouge qui, ayant envahi la Pologne en vertu du pacte secret Ribbentrop-Molotov et qui, rencontrant les soldats polonais du front occidental en déroute, pour les désarmer plus facilement, leur fit croire que les soviétiques étaient entrés en Pologne pour combattre l’Allemagne, et que leurs armes leur seraient rendues très prochainement.
En juin 1940, Paul Reynaud, le maréchal Pétain et le général Weygand faisaient pression sur le gouvernement polonais en exil pour que la Pologne soit incluse dans l’armistice, ce qui fut refusé énergiquement par celui-ci.
Churchill sauva l’honneur de son pays en aidant la « nouvelle armée polonaise », de quatre-vingt quatre mille hommes, reconstituée en France, à embarquer pour l’Angleterre.
Lors de la défaite de la Pologne, fin septembre 1939, le président polonais, empêché par son internement en Roumanie d’exercer sa fonction, transmettait ses pouvoirs dans les formes constitutionnelles à l’ancien président du sénat, lequel releva de ses fonctions le gouvernement, également interné, et désigna le général Sikorski comme premier ministre. Un gouvernement en exil fut constitué, qui résida d’abord en France et, après la défaite, en Angleterre.
En Pologne occupée, sous la houlette du gouvernement en exil, l’État clandestin, progressivement constitué, assurait des fonctions militaires et civiles, aussi bien politiques qu'administratives et judiciaires. Il jouait un rôle important dans la vie et l’organisation de la population polonaise (presse clandestine, code de moralité publique qui déterminait ce qui est acceptable et interdit dans les relations quotidiennes avec l’occupant, sabotages, etc.)
Deux exemples significatifs parmi beaucoup d’autres.
En 1939 les nazis mettaient fin à tout enseignement secondaire et supérieur en Pologne. Le département de l’Éducation de la Résistance parvint à maintenir un enseignement clandestin. En 1942, dans le seul district de Varsovie, 85 000 enfants et jeunes gens avaient bénéficié de cet enseignement. Il va sans dire que les enseignants, les élèves et leurs familles ainsi que les étudiants risquaient ainsi leur vie.
Le baccalauréat et des diplômes universitaires tels que le doctorat étaient attribués clandestinement. Un diplôme du bachot pouvait être rédigé ainsi par le président du jury : « Merci pour votre charmante visite du 29 septembre 1942. J’en ai été très satisfait. Vous m’avez dit des choses si intéressantes. Bravo. » Beaucoup de ces cartons furent validés après la fin de la guerre.
En 1941, la situation financière de la Résistance est mauvaise. Elle lance, avec succès, un emprunt auprès de la population. Les bons étaient rédigés dans le style suivant : « Je vous remercie pour le don de X kilogrammes de pain. Je ferai de mon mieux pour vous le restituer dès que possible. » Cet emprunt aurait dû être remboursé à la fin de la guerre mais ce ne fut pas le cas. Pour les communistes qui prirent le pouvoir, il n’était pas question de rembourser une dette contractée au nom des « fascistes » exilés à Londres. Contrairement à la validation de diplômes, le remboursement d’un emprunt, c’est coûteux ! Une vieille habitude communiste inaugurée en 1918 !
Un exemple de l’ignominie allemande : dans la seconde moitié de 1942, dans les campagnes, les Allemands soumirent les mariages à une autorisation préalable des autorités, laquelle était pratiquement toujours refusée. Lorsque des enfants naissaient de mariages contractés secrètement, ils étaient enlevés à leur famille. 200 000 enfants auraient été ainsi déportés dans le Reich, dont on a perdu toute trace.
Jan Karski exerça successivement diverses tâches dans la Résistance. A l’été 1942, celle-ci décida de l’envoyer à Londres, pour rendre compte au gouvernement polonais en exil et aux Alliés de la situation en Pologne et transmettre les messages des quatre partis démocratiques de la coalition gouvernementale à leurs représentations respectives à Londres.
La Résistance lui demanda de rencontrer les représentants des organisations juives de Pologne pour transmettre leurs messages aux destinataires qu’elles désigneraient. C’est ainsi que Jan Karski fut conduit, de fil en aiguille, à visiter clandestinement, par deux fois, le ghetto de Varsovie.
Tout aussi clandestinement il se rendit au camp d’Izbica Lubelska, qui était l’antichambre du camp d’extermination de Belzek. Dans ces trois occasions Jan Karski risqua sa vie plus que d’habitude.
Le récit de ce qu’il a vu dans le ghetto de Varsovie et dans le camp d’Izbica Lubelska est poignant comme rarement.
À Londres il rencontra le général Sikorski, premier ministre polonais, Anthony Eden, ministre des affaires étrangères britannique. À Washington il fut reçu longuement par le président Roosevelt. Dans les deux pays il rencontra les représentants des organisations juives.
Il fut sans doute le premier à pouvoir témoigner de visu auprès des Alliés de l’extermination des Juifs d’Europe.
Après sa rencontre avec Roosevelt, il espérait revenir au plus vite servir en Pologne.
Le Gouvernement polonais lui enjoignit de sensibiliser l’opinion américaine à la situation de la Pologne et à son sort futur. C’est ainsi qu’il parcourut les États-Unis durant l’année 1943, y donnant d’innombrables conférences, qui rencontrèrent beaucoup de succès, et rédigea Mon témoignage devant le monde en 1944. Ce qui n’empêcha pas Roosevelt et Churchill d’abandonner la Pologne à Staline.
En juin 1982, l’institut Yad Vashem décerna à Jan Karski le titre de « Juste parmi les nations ».
Le récit de Jan Karski dans Mon témoignage devant le monde est tour à tour palpitant, émouvant, poignant. Avec la préface et l’ensemble des notes de l’éditeur, sa lecture donne un assez bon aperçu de l’histoire tragique de la Pologne du début du XXe siècle jusqu’à la prise du pouvoir par les communistes. À lire par tous ceux qui aiment l’histoire ou, tout simplement, la Pologne.
NB pour les initiés : page 406 de l’édition signalée, Jan Karski dit qu’il rencontre Rawicz, délégué général du gouvernement. Pour protéger les résistants, le plus souvent, le texte de Jan Karski, publié alors que la Pologne est encore occupée, modifie les noms de lieux, les noms de personnes et les pseudonymes, qui sont rétablis dans les notes de l’éditeur. Une de celles-ci indique : « Rawicz » n’a été le pseudonyme d’aucun des délégués en chef successifs du gouvernement en exil. Il s’agit ici de Cyril Ratajski… N’empêche, dans son Témoignage devant le monde, Jan Karski a rencontré un Rawicz !
Pour prolonger cet article :
Jan Karski, Mon témoignage devant le monde Souvenirs 1939-1943, Ed. Robert
Laffont, Coll. Point, janvier 2011
Une vidéo à la mémoire des martyrs du ghetto de Varsovie (5' 13")
Un aperçu du témoignage de Jan Karski dans Shoah (en anglais, non sous-titré, 11' 30")
Un deuxième aperçu (en anglais, non sous-titré, 9' 55")
Rien ne vaut l'original :