Un article paru dans Le Monde Magazine du 29 janvier dernier est consacré à Jean-Paul Jaud, cinéaste documentariste, réalisateur du film Nos enfants nous accuseront, sorti en novembre 2008, dans le synopsis duquel on peut lire ‒ attention cher lecteur, pour ne pas tomber à la renverse, asseyez-vous d’abord : « 70 % des cancers sont liés à l’environnement dont 30 % à la pollution et 40 % à l’alimentation ».
Dans le rapport* publié en 2007 sur Les causes du cancer en France il est écrit noir sur blanc :
Contrairement à certaines allégations, la proportion de cancers liés à la pollution de l’eau, de l’air et de l’alimentation est faible en France, de l’ordre de 0,5%, elle pourrait atteindre 0,85% si les effets de la pollution de l’air atmosphérique étaient confirmés.
La question est donc : pourquoi Monsieur Jean-Paul Jaud, cinéaste de formation et de métier, croit-il mieux connaître l’origine des cancers que le Professeur Maurice Tubiana, le Centre international de recherche sur le cancer et l’Institut national du cancer réunis ?
Parce que ses films à sensation sont présentés à Cannes et font de nombreuses entrées ? Cela est sans doute pour quelque chose dans le fait qu’il persiste dans la thématique écolo-anxiogène militante.
Mais c’est depuis qu’il a développé un cancer du côlon en 2004 et qu’il en a attribué la cause à son alimentation qu’il est devenu militant de l’alimentation bio.
En général il est très difficile aux victimes d’attribuer leur malheur à la fatalité. Elles sont soulagées par le fait de pouvoir désigner un coupable.
J’illustrerai cette composante quasi universelle de la psychologie humaine par deux exemples et une citation.
Dans des populations où se pratique encore la sorcellerie, l’explication que le rationaliste apporte à l’effondrement de la toiture d’une maison par l’action des termites n’est pas suffisante : « Oui, certainement, mais pourquoi justement à cet instant précis, tuant telle personne ? Quelqu’un a jeté un sort à la victime ! »
Le troisième procès de Patrick Dils, alors emprisonné depuis quinze ans pour le meurtre de deux enfants, s’est achevé par son acquittement. La seule vraie question qui vaille était de savoir si Patrick Dils était vraiment coupable du crime pour lequel il avait été condamné par deux fois. Les familles des victimes, parties civiles, ont plaidé la culpabilité de Patrick Dils. Il leur était difficile de ne plus avoir de coupable. On peut les comprendre, bien que la justice ne soit pas d’avoir un coupable mais de punir le vrai coupable.
Je rapporte ce cas un peu ancien parce que, malgré le temps passé, il est resté bien vivant dans mon esprit. Mais il est emblématique de bien d’autres procès criminels. Combien de fois n’a-t-on pas vu, au JT, les avocats des parties civiles chercher à nous démontrer la culpabilité de l’accusé ?
L’émission Le téléphone sonne du 25 février 2010, sur France Inter, était consacrée aux cancers et aux leucémies de l’enfant.
Un auditeur s’interroge sur l’origine génétique de ces maladies. Une auditrice affirme sa croyance dans le rôle prépondérant de leur origine environnementale.
Dans sa réponse circonstanciée sur les plans scientifique et médical, le Professeur André Baruchel, chef du service d’hématologie pédiatrique de l’hôpital Robert Debré, glisse avec beaucoup d’humanité : « Il est important de dire aux gens que, oui, c’est normal, quand on subit un drame pareil, on a besoin d’un coupable et on cherche le coupable dans sa génétique familiale ou dans son environnement et malheureusement les réponses ne sont pas univoques ».
Monsieur Jaud a besoin d’un coupable de son cancer du côlon. Il l’a trouvé dans son alimentation, ce pourquoi il s’est converti aux aliments bio et cherche à y convertir son public. Ça doit tellement le soulager !
Mais peut-être les gens raisonnables n’ont-ils pas besoin de croire que l’alimentation conventionnelle a jeté un sort à tous ceux qui développent un cancer du tube digestif !
Le bouc-émissaire est un coupable désigné par une communauté en crise ou en voie de dissolution, qui se ressoude sur son dos. Le « besoin de coupable » dont il est question ici est le coupable dont a besoin une victime d’un drame individuel. Les manipulateurs d’opinion, parmi lesquels je range les écologistes, savent jouer sur ces deux ressorts de l’âme humaine.
*Rapport établi par le Centre international de recherche sur le cancer, l’Académie nationale de médecine, l’Académie nationale des sciences, la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer avec le concours de l’Institut National du Cancer et de l’Institut de Veille Sanitaire.
Pour en savoir plus
Rapport sur les causes du cancer en France
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